Jean Paul de Dadelsen, « Le projet de Laboratoire européen de recherches nucléaires est une initiative européenne » (juin 1953)
[fr] Cette note, rédigé par le poète et journaliste Jean-Paul de Dadelsen (1913-1957), alors chef du département des commissions d’études du Centre européen de la culture (CEC) dirigé à Genève par l’écrivain Denis de Rougemont (1906-1985), défend l’origine véritablement européenne du projet de Laboratoire européen de recherches nucléaires, en réponse aux critiques l’attribuant entre autres à une ingérence américaine. Il rappelle que l’idée a été formulée dès la Conférence européenne de la culture de Lausanne (décembre 1949), puis précisée lors de la réunion du CEC à Genève (12 décembre 1950). Selon l’auteur, le rôle de l’Unesco fut de relayer ce projet au niveau intergouvernemental, ce qui aboutit à la création du Conseil européen de la recherche nucléaire en 1952. Le choix de Genève comme site du futur laboratoire consacre l’initiative initiale portée par la Suisse et le Centre européen de la culture.
[de] Diese Notiz, verfasst vom Dichter und Journalisten Jean-Paul de Dadelsen (1913— 1957), damals Leiter der Studienkommissionen des Centre européen de la culture (CEC) unter der Leitung des Schriftstellers Denis de Rougemont (1906— 1985) in Genf, verteidigt den genuin europäischen Ursprung des Projekts eines Europäischen Labors für Kernforschung — als Antwort auf Kritiken, die es unter anderem als amerikanische Einflussnahme darstellten. Er erinnert daran, dass die Idee bereits auf der Europäischen Kulturkonferenz in Lausanne (Dezember 1949) formuliert und bei der Sitzung des CEC in Genf (12. Dezember 1950) konkretisiert wurde. Laut dem Autor bestand die Rolle der Unesco darin, dieses Projekt auf zwischenstaatlicher Ebene weiterzutragen, was 1952 zur Gründung des Europäischen Rates für Kernforschung führte. Die Wahl Genfs als Standort des zukünftigen Labors unterstreicht die anfängliche Initiative der Schweiz und des Centre européen de la culture.
[it] Questa nota, redatta dal poeta e giornalista Jean-Paul de Dadelsen (1913— 1957), allora responsabile del dipartimento delle commissioni di studio del Centre européen de la culture (CEC), diretto a Ginevra dallo scrittore Denis de Rougemont (1906— 1985), difende l’origine autenticamente europea del progetto del Laboratorio europeo di ricerche nucleari, in risposta alle critiche che lo attribuivano, tra l’altro, a un’ingerenza americana. Ricorda che l’idea fu formulata già durante la Conferenza europea della cultura di Losanna (dicembre 1949) e poi precisata nella riunione del CEC a Ginevra (12 dicembre 1950). Secondo l’autore, il ruolo dell’Unesco fu quello di trasmettere il progetto sul piano intergovernativo, portando alla creazione del Consiglio europeo per la ricerca nucleare nel 1952. La scelta di Ginevra come sede del futuro laboratorio consacra l’iniziativa iniziale promossa dalla Svizzera e dal CEC.
[en] This note, written by poet and journalist Jean-Paul de Dadelsen (1913— 1957), then head of the study commissions at the Centre européen de la culture (CEC) directed in Geneva by writer Denis de Rougemont (1906— 1985), defends the genuinely European origin of the European nuclear research laboratory project, in response to criticisms portraying it, among other things, as a case of American interference. He recalls that the idea was first formulated at the European Conference of Culture in Lausanne (December 1949), and further specified during the CEC meeting in Geneva (12 December 1950). According to the author, Unesco’s role was to carry the project forward at the intergovernmental level, which led to the creation of the European Council for Nuclear Research in 1952. The selection of Geneva as the site of the future laboratory confirms the founding initiative carried by Switzerland and the Centre européen de la culture.
Les adversaires du Laboratoire européen de physique nucléaire invoquent entre autres deux séries d’arguments. Les uns reposent sur la méconnaissance des objectifs poursuivis et des possibilités mêmes des futurs appareils : ils insistent sur les dangers qu’évoque la seule pensée d’une installation « atomique ». Les autres proviennent de la méconnaissance des véritables origines du projet : ils présentent ce dernier comme une des multiples expressions de l’ingérence américaine dans nos affaires.
Voyons ce qu’il en est de cette deuxième série d’arguments.
La présentation officielle des faits
Le mois dernier, le Conseil européen pour la recherche nucléaire (CERN) a publié son second rapport aux États membres (Rome, 5 mai 1953). Ce rapport, dont le but est de présenter, sous une forme concise, toutes les informations essentielles nécessaires aux personnes qui pourront être appelées à formuler une opinion, résume les origines du projet de la manière suivante :
C’est, peut-on lire, au cours de la 5e session de la Conférence générale de l’Unesco, réunie à Florence en 1950, que fut adoptée, sur une proposition de la délégation des États-Unis, une résolution tendant à « faciliter et encourager la création et l’organisation de laboratoires et de centres de recherches régionaux ». Cette résolution faisait suite à de nombreuses discussions qui avaient lieu au sein de l’Unesco et du Conseil économique et social de l’ONU.
Le rapport du CERN ajoute un peu plus loin : « Bien que cette résolution ne mentionnât ni un domaine spécial de recherche, ni une région géographique particulière, il apparut bientôt que… l’établissement d’une coopération internationale dans le cadre européen, en ce qui concerne les recherches fondamentales sur la structure de la matière, constituait un des objectifs les plus utiles et prometteurs. » L’année suivante, en 1951, l’Unesco soumit aux gouvernements le projet du « Laboratoire international (européen) de recherches nucléaires », qui doit être construit à Genève. Comme l’Unesco ne pouvait pas, tant pour des raisons financières qu’administratives, prendre en charge son exécution, cet organisme convoqua, en décembre 1951, une conférence de représentants gouvernementaux ayant pour tâche d’assurer l’organisation et le financement des études nécessaires. La Conférence aboutit à la création, le 15 février 1952, du « Conseil européen pour la recherche nucléaire », qui groupe 11 États européens.
La véritable origine
Cette présentation des faits, à laquelle se réfère la presque totalité des articles de presse, appelle deux remarques principales :
1. Dans son souci de concision et dans son parti de ne mentionner que les débats intervenus dans le cadre de réunions intergouvernementales, elle passe sous silence la véritable origine du projet, substituant à un dessein qui fut en réalité extrêmement précis, une résolution vague dont on ne voit pas exactement comment elle a abouti au programme actuel.
2. En prenant ainsi comme point de départ la résolution de Florence, elle tend à accréditer l’idée de l’origine américaine du projet, du moins dans ses contours les plus généraux.
Sans vouloir méconnaître l’attachement qu’ont toujours montré les USA, au sein des Nations unies, à la création d’instituts internationaux de recherches, il importe d’établir la genèse véritable et la progression de l’idée du laboratoire, ne fut-ce que pour parer aux attaques d’une propagande mensongère. Aussi bien n’y a-t-il jamais eu action en recherche de paternité qui fût moins incertaine.
La réunion de Genève du 12 décembre 1950
C’est au cours de la Conférence européenne de la culture, réunie à Lausanne, du 8 au 12 décembre 1949, sous les auspices du Mouvement européen, que fut, pour la première fois, posé sur le plan européen le problème de la coopération en matière de recherche nucléaire. Dans une résolution adoptée à la quasi-unanimité des délégués de 22 pays, la Conférence recommandait : « … la création d’instituts européens spécialisés, en liaison étroite avec les organismes nationaux correspondants et avec ceux de l’Unesco ». Comme application caractéristique des principes énoncés dans la résolution, la Conférence proposait de « mettre à l’étude la création d’un Institut de science nucléaire orienté vers les applications à la vie courante ».
Cette mise à l’étude du Laboratoire fut confiée au Centre européen de la culture, organisateur de la Conférence, comme l’une de ses premières tâches. La Commission de coopération scientifique du Centre, présidée par Raoul Dautry, administrateur général du Commissariat français pour l’énergie atomique, précisa et compléta le projet ; dans sa séance du 12 décembre 1950 à Genève, qui groupait des physiciens et directeurs d’instituts nucléaires de six pays européens, elle jeta les bases mêmes du plan actuellement en cours d’exécution, allant jusqu’à préciser les critères qui devaient guider le choix du futur emplacement du Laboratoire ; elle suggérait enfin la création immédiate, à Paris, en relation avec l’Unesco, d’un bureau d’études chargé de mettre au point le programme des travaux. Il était en outre convenu que l’Unesco réunirait des délégués gouvernementaux pour étudier avec eux le financement du plan et les conventions internationales à établir.
Le rôle de l’Unesco a donc consisté, en résumé, à porter le projet du CEC (Lausanne 1949, Genève 1950) au stade des négociations intergouvernementales. Ceci fait, le Laboratoire, doté d’un Conseil de représentants des gouvernements, a cessé d’être lié, soit au CEC, soit à l’Unesco.
Ainsi se trouve très clairement établie l’origine européenne d’un projet qui répond d’ailleurs à des besoins spécifiquement européens. On peut dire davantage : si le Laboratoire doit être édifié à Genève, c’est aussi que sa première ébauche a été établie à Genève. Par un juste retour, l’honneur de l’abriter revient à la Suisse — d’où l’idée est partie.